Vais-je aller en enfer si j'ai volé la bague d'un mort? Bon, bon, bon... Je vous entend me réprimander, mais vous ne savez pas toute l'histoire. Harvey, c'était mon pote. Je l'ai connu alors que j'étais encore humain. Il n'a jamais vieillit d'un poil depuis l'université. Normal. Harvey était un vampire et avait déjà 350 ans lorsque j'ai fait sa connaissance. Il était un cas spécial mon pote. Il ne buvait que le sang provenant de poches de sang. Il disait qu'avant, il chassait des animaux pour boire de leur sang. J'y pense aujourd'hui et ça me répugne un peu. Il était meilleur que moi. C'est lui qui m'a transformé pour me sauver en quelque sorte de toutes les obligations que j'avais dans ma vie. Je devais me marier avec une jeune femme que je détestais, je travaillais pour mon père et devait me plier à toutes les convenances du monde riche de ce temps-là. J'étais dans une immense cage dorée, destiné à vivre comme un robot programmé. Harvey a changé ça.
Il m'a tout appris sur le monde surnaturel. Du moins tout ce qu'il savait. Il avait une bague de jour et l'avait obtenu tard dans sa vie de vampire et avec beaucoup de négociations avec une sorcière peu encline à lui en fabriquer une. Je ne me souviens pas de ce qu'il avait dû lui donner en échange, mais il me semble que c'était presque impossible à trouver et pourtant il l'a fait. Toujours est-il que lorsque j'ai trouvé mon ami, mort dans le fond d'une ruelle avec la note de sa folle d'ex, je l'ai ramené avec moi et lui ai offert un enterrement digne de son amitié envers moi. Vu son âge, il n'avait plus de famille. Ce n'est pas un hasard s'il me suivait dans tout mes déménagements. Quand on est vampire, si nous avons la chance de se faire des amis qui sont pour nous comme de la famille, nous les gardons près de nous car les autres, les humains, ils finiront par mourir.
Avant de le placer dans son cercueil, je lui ai retiré sa bague de jour et l'ai mit à mon doigt. Est-ce mal? Je pense que non. C'était le seul souvenir de lui que je pouvais garder toujours avec moi et ça allait pouvoir me permettre d'affronter les journées sans brûler et crever sur place. C'était un peu comme si Harvey me sauvait une deuxième fois.
Voilà pourquoi aujourd'hui, je suis dans le grand parc du Jackson Square. Je peux sortir au soleil depuis seulement quelques mois en 35 ans de noirceur obligatoire. Je veux en profiter le plus possible. J'avais oublié à quel point New Orleans est magnifique. Je m'assois sur l'herbe devant un étrange palmier en forme de grappe de brocoli. Ça me fait marrer. Je vois l'énorme cathédrale plus loin devant et ça me rappelle mon enfance. Enfin, je suis à la maison. Déjà deux semaines que je suis ici et j'ai enfin pu emménager dans la maison de mes rêves près du French Quarter. Pas que je n'aimais pas mon petit hôtel, mais j'avais hâte d'avoir ma propre maison et Gunther, le gars à la réception, commençait à me taper sur le système.
Je vois une jeune femme plus loin et je la reconnais aussitôt. Je me cache derrière le palmier slash brocoli géant et l'observe. Alexis. La petite de Kaleb. Je me sens ridicule chaque fois que je la surveille en cachette comme un espion. Mon but était de pouvoir donner des nouvelles d'elle à son père sans me mêler à sa vie. Elle n'a pas besoin d'un vampire dans sa vie et c'est aussi l'avis de son père.
Yaaaaaaaaaargh!!!!!! C'est quoi çaaaaaaaaaaaaaaaa????? Un chat vient de m'attaquer du haut du palmier! Je sors de ma cachette pour essayer de me défaire de l'animal enragé qui me griffe le visage comme s'il avait la rage. Les chats ne m'aiment pas. Ça tombe bien, c'est réciproque. Humain, j'étais allergique et ma mémé en avait plein, cette vieille folle! Ça y est. Ce chat est possédé. Il me couvre le visage avec son bedon, les quatre pattes derrière ma tête, les griffes dans ma nuque et le dessus de ma tête. Charmant. Du poil, du poil et encore du poil! Je bouge ma tête de gauche à droite et il ne bouge pas d'un poil ( poil, haha! ). J'aurais pu le tuer, mais même si je les déteste ces bêtes, je tue pas les animaux. Je finis par le prendre par la peau du cou en y allant à tâtons vu que j'ai les yeux obstrué par son ventre et je le lance dans le palmier/brocoli et me dirige plus loin en marche rapide. C'est à ce moment que je me rend compte que je ne me trouve qu'à deux mètres d'Alexis, complètement à découvert...
Le moins que l'on puisse dire, était qu'Alexis s'était levée du pied gauche ce matin, et qu'elle comptait bien faire payer sa mauvaise humeur, à quiconque aurait l'audace de la contrarier. Pourtant, dehors le temps semblait magnifique, et ne semblait guère refléter son état d'esprit actuel. Les beaux jours n'allaient probablement pas tarder à arriver, et cet hiver glacial semblait déjà loin derrière eux. Mais en ce jour de chaos, elle prenait chaque rayon de soleil comme une agression, le trouvant bien trop éblouissant. Vous l'aurez sûrement compris dès le début, mais aujourd'hui, Alexis avait tout simplement décidé d'être chiante. Nous étions samedi et son patron, prit d'un éclair de bonté, avait décidé de lui laisser sa journée. Consciente qu'elle ne serait probablement bonne à rien aujourd'hui, la jeune femme avait décidé de déposer sa fille chez ses parents adoptifs, qui l'adoraient au moins autant qu'elle. Au premier abord, la nouvelle de sa grossesse ne les avait nullement ravi, bien au contraire. Mais pourtant, ils s'étaient tous les deux montrés d'une gentillesse à couper le souffle, lui offrant tout le soutien dont elle avait été privé. Le père de Lilie avait décidé de les abandonner, ne pouvant assumer cette paternité soudaine. Dans le fond, pouvait-elle l'en blâmer ? Probablement pas. Elle-même ne savait guère ce qu'elle aurait fait à sa place ; si elle avait eu le choix. Elle s'efforçait de penser qu'elle aurait fait autrement, mais au plus profond d'elle-même, elle savait que ce n'était pas si simple ; que rien n'était simple, dans leur histoire.
Mais la question ne se posait plus à présent. Elle ne se posait plus, car Lilie était désormais là, et était devenue tout son monde, toute sa vie. Désormais, Alexis ne se voyait guère vivre sans elle, comme si son existence n'avait eu de sens que lors de sa venue. Un sentiment étrange et effrayant, mais qui la faisait vivre chaque jour. Lilie était devenue sa raison d'avancer, et de se battre, de se lever tous les matins. C'était d'ailleurs la seule personne, qui avait réussi à la faire sourire aujourd'hui. D'ailleurs, Alexis ignorait quel était l'objet de son humeur massacrante, et à vrai dire, elle n'avait nullement cherché à le savoir ; elle s'en foutait. Voilà c'est ça. Aujourd'hui, Alexis avait décidé de s'en foutre de tout, mis à part de sa fille. Malgré tout, Alexis avait tout de même décidé de rejoindre le parc, en quête d'un semblant de calme. Le temps était magnifique, et elle se dit – qu'étant donné les circonstances – une balade ne pourrait lui faire que du bien. En arrivant au Jackson Square, elle put constater qu'il n'y avait pas grand monde ; tant mieux. Alexis ne tarda nullement à rejoindre son banc habituel, positionné en face d'un lac, qu'elle adorait contempler lors de ses passages à vide. C'était ici, qu'elle avait percé ses plus grands rêves, se miroitant la vie idyllique qu'elle n'aurait probablement jamais. Une vie idyllique, qu'elle ne voulait pas avoir, dans le fond. Au delà de tous ces préjugés, la jeune femme aimait réellement la tournure qu'avait pris son existence, et elle se complaisait dans son imperfection. Elle aimait sa vie. Elle aimait la vie en général.
Alexis ne put s'empêcher d'échapper un soupir d'exaspération, à l'entente des multiples jurons d'une personne derrière-elle. Cependant sa mine contrariée laissa place à un éclat de rire, à la vue de la bataille qu'un homme semblait mener avec un chat. Inutile de vous dire que le chat était littéralement en train de le laminer ? Cette vue était décidément insoutenable de ridicule, tellement, qu'elle ne daigna nullement se lever pour lui porter secours. Cela pouvait paraître cruel, mais elle ne dérogerait guère à sa règle de départ ; elle s'en foutait de tout. Alexis finit par le toiser avec insistance, une fois le combat de catch terminé. Ce fut à ce moment là qu'elle le reconnut. Qu'elle reconnut cet homme, qui n'avait eu de cesse de la suivre, depuis quelques jours. Que devait-elle faire en cet instant ? En temps normal, Alexis aurait probablement passé son chemin, sans demander son reste. Mais les choses étaient différentes aujourd'hui, tellement, qu'elle n'hésita pas à se lever pour aller à sa rencontre, telle une furie rescapée des Enfers. Une fois à sa hauteur, la jeune femme lui mit plusieurs coups de sacs sur l'épaule, y mettant toute sa force, sachant pertinemment qu'elle ne faisait pas le poids. « Est-ce-que j'ai le droit de me balader tranquillement, sans que vous me colliez au train ? » Elle était folle. Elle était complètement folle à lier, et le pire, c'était qu'elle en était consciente. « Hein ? Est-ce-que j'ai le droit ? » Elle hurlait comme une malade mentale, ne prenant nullement la peine de lui demander ce qu'il désirait tout simplement. Le moins que l'on puisse dire, était qu'il était tombé au bon moment. Pile au moment où elle avait besoin de passer ses nerfs sur quelqu'un.